dans le cadre du Mois du Doc, en partenariat avec la Médiathèque de Paimpol

Captation vidéo de la rencontre avec Olivier Barreau, président et co-fondateur de Grain de Sail disponible ci-contre et en cliquant ici.
Retrouvez les références bibliographiques en bas de page.

Comment rendre le transport maritime compatible avec la lutte contre le changement climatique ?

Centre de découverte de la marine marchande, créateur de rencontres entre les marins et le public, Milmarin remercie l’ensemble des contributeurs, marins et partenaires, d’avoir permis l’organisation de ce temps d’échanges, autour de ce sujet d’actualité.

On estime que le transport de marchandises par bateau dans le monde représente entre 85% et 90% du transit total de marchandises. Cela en fait le moyen de transport de marchandises essentiel et majoritaire dans le monde, qui reste pourtant méconnu du grand public. Cet acteur essentiel de la mondialisation connait un développement sans pareil ; la quantité de marchandises transportées dans le monde a doublé en 20 ans. Elle est en effet passée de 6.30 milliards de tonnes de marchandises transportées dans le monde en l’an 2000, à plus de 12 milliards de tonnes aujourd’hui.

Ces marchandises sont transportées par de gigantesques navires, de plus en plus grands et de plus en plus nombreux. Quand en 2000 le plus gros porte-conteneurs pouvait transporter 7 226 conteneurs, aujourd’hui le record est de 24 346 conteneurs pour les plus gros d’entre eux. Cette augmentation de la capacité de transport passe également par l’augmentation du nombre de navires marchands dans le monde. On compte actuellement 58 228 navires de plus de 300 tonnes brutes.

Ces augmentations constantes ne sont pas sans impact sur l’environnement. Le transport maritime utilise des fiouls lourds et des carburants de mauvaise qualité. Ils sont à l’origine de différentes pollutions, dont l’émission de gaz à effet de serre, le rejet de particules fines, d’oxydes d’azote et de soufre. Le transport maritime est responsable à lui seul (pour le moment) de 3% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Comme il a été mentionné lors de la conférence mondiale pour le climat de 2022 « si le transport maritime était un pays, il se classerait parmi les dix plus grands émetteurs de Gaz à Effet de serre mondiaux ». D’après l’Organisation Maritime Internationale (OMI), l’impact actuel de la flotte maritime mondiale corrélé aux hypothèses de croissance du commerce maritime d’ici 2050, laissent entrevoir une augmentation de 50% à 250% d’émissions de gaz à effet de serre si aucune mesure n’est prise d’ici 2050. Pour enrayer ces prévisions, l’OMI et les gouvernements travaillent à un certain nombre de mesures visant la réduction de la pollution du transport maritime et l’amélioration de l’efficacité énergétique des navires.

L’OMI s’est notamment fixé l’objectif de réduire à zéro les émissions de gaz à effet de derre d’ici 2050. L’ensemble du secteur maritime se mobilise pour imaginer des solutions permettant de rendre compatible la lutte contre le changement climatique et le transport maritime. Les mesures concernent autant les nouveaux navires qui sont dans l’obligation de répondre à des normes minimales d’efficacité énergétique, qu’aux navires en exploitation par l’optimisation de la consommation de carburant.

Synthèse non exhaustive des nouvelles stratégies et difficultés qui en découlent

La régulation de la vitesse des navires (slow steaming)

Le slow steaming signifie « naviguer à vitesse réduite ». Cela consiste à ralentir la vitesse des navires pour réduire la consommation de carburant et de ce fait réduire l’émission de polluants. Cette solution à court terme est relativement facile à mettre en œuvre et permet une réduction directe de la pollution. En diminuant leur vitesse de 10 à 15%, les navires voient une réduction de la consommation de carburant allant de 20 à 30%.

Difficultés : l’allongement des délais de transport ; ne remplace pas la consommation de carburants fossiles polluants.

Routage météorologique

Il s’agit de l’amélioration du calcul des routes maritimes en fonction des conditions météorologiques, notamment grâce à l’intelligence artificielle. Le gain de carburant pourrait atteindre 10%.

Difficultés : ne remplace pas la consommation de carburants fossiles polluants.

Optimisation des navires

Pour les navires existants : il s’agit de l’installation de technologies à bord pour atténuer les rejets de matières polluantes. Exemples : filtres, systèmes de traitement des fumées, systèmes de récupération de chaleur des moteurs, matériel de captage et de stockage du dioxyde de carbone, etc.

Pour la nouvelle flotte mondiale : il s’agit de la création de nouveaux moteurs, la modification de la forme de la coque du navire, les améliorations des moteurs, la réflexion pour de meilleurs usages des énergies à bord, etc.

Difficultés : seuls les navires les plus récents peuvent être modifiés, ce qui écarte un certain nombre de navires puisque l’âge moyen d’un navire de commerce est de 22,2 ans en 2023. Le nombre de demandes de nouvelles constructions navales allonge les délais pour changer l’ensemble de la flotte mondiale, ce qui engendre également un certain coût.

Usage de nouvelles énergies – des carburants plus propres

La décarbonation passe notamment par l’utilisation de carburants qui émettent moins de carbone :  le méthane, le Gaz Naturel Liquéfié, l’éthanol, les biocarburants, l’ammoniaque ou encore l’hydrogène.

Difficultés : La forte demande pour ces nouveaux carburants peut entrainer des difficultés d’approvisionnement. Certains carburants sont fabriqués à partir d’énergies fossiles, certains sont toxiques, d’autres sont difficiles à stocker à bord (température, quantité). Toutes ces modifications nécessitent des investissements massifs ; il faudrait un investissement annuel de 28 milliards de dollars pour décarboner les navires d’ici 2050, puis de 90 milliards de dollars pour modifier les infrastructures de production et de distribution de ces nouveaux carburants.

Usage de nouvelles énergies – le transport vélique

Différentes technologies sont déployées pour utiliser le vent : les profils aspirés, les rotors, les voiles souples, en fibre de verre, les panneaux ou gonflables, les ailes rigides, les kites.

Difficultés : Ces technologies sont difficilement adaptables sur les gigantesques navires, ce qui oblige à coupler l’utilisation du vent avec l’utilisation d’un moteur. Un navire qui utilise le vent à 100% peut aujourd’hui difficilement dépasser une certaine longueur (60-80 mètres). Installer des voiles sur des navires soulève aussi des questions d’efficience : un porte-conteneurs serait obligé de diminuer le nombre de conteneurs transportés pour laisser la place aux voiles sur le pont.

Cargo à voile devant la statue de la Liberté

Le premier cargo de Grain de Sail @Grain de Sail

Cargo à voile en navigation

Le navire Canopée de Zéphyr & Borée @TomVanOossanen

Cargo à voiles en navigation

Le Neoliner de 136m ©Neoline/Mauric

Usage de nouvelles énergies – la propulsion électrique

N’émet pas de pollution à bord.

Difficultés : la production de l’électricité et des batteries peut être source de pollution. Aujourd’hui les navires électriques sont adaptés pour des traversées courtes de 10 à 30 minutes, à cause de la capacité de charge des batteries.

Usage de nouvelles énergies – la propulsion nucléaire

Le nucléaire peut apporter une grande autonomie des navires (un sous-marin peut naviguer 25 ans sans être « rechargé »). Aujourd’hui les navires nucléaires sont principalement militaires.

Difficultés : l’impact environnemental du traitement des déchets nucléaires, des enjeux de sécurité et politiques.

Ces tentatives de réponses aux objectifs de décarbonation, par l’adaptation des navires actuels ou la construction de nouveaux navires plus respectueux de l’environnement, s’inscrivent dans un système mondialisé d’interdépendance des pays pour l’import et l’export de leurs marchandises, de concurrence entre armateurs et de consommation de plus en plus importante de marchandises. Dans leur avancement actuel, ces propositions ne permettent pas d’assumer seules l’ensemble d’un trafic maritime qui ne cesse d’augmenter, tout en parvenant aux objectifs environnementaux fixés par l’OMI.

Les films proposés par Milmarin dans le cadre du Mois du doc

Qui contrôle la mer ?

Réalisé par Baudouin Koenig, France, 2015. 90 minutes

Un porte-conteneur en navigation

Les navires battent pavillon du Panama, du Liberia, des Bahamas, des Iles Marschall, pour plus de la moitié de la flotte mondiale. Au Pirée, à Marseille, à Hambourg, à Shanghai à Bruxelles, et en mer, Baudouin Koenig prend le pouls du shipping, qu’on qualifie souvent de « flux sanguin » de l’économie mondiale. Les artères de la mondialisation sont à la merci d’un infarctus, d’une embolie, d’une hypertension. Et pourtant le transport maritime est invisible.

Des bateaux plus écolos – la révolution verte des porte-conteneurs

Réalisé par Eva Schultes, Allemagne, 2023. 53 minutes

Un porte-conteneur en navigation vu du ciel

Alors que les porte-conteneurs sont responsables de 3% des émissions de CO2 dans le monde, l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 entraine inévitablement une réflexion profonde dans le secteur maritime. Il faut repenser la conception des navires, des technologies de navigation aux systèmes de propulsion. Si les carburants verts représentent une alternative au diesel et au fuel lourd, leur production à grande échelle constitue un défi de taille. Chercheurs et ingénieurs sont interrogés pour un point de situation en 2023, de la règlementation aux premiers projets pilotes.

Les convoyeurs du vent

Réalisé par Mathurin Peschet, France, 2019. 26 minutes

 

Un vieux gréement qui transporte des marchandises

Doux rêveurs ou précurseurs ? Depuis 2009, le navire hollandais Nordlys transporte des marchandises à la voile. Côtés marins, c’est l’amour de la navigation à l’ancienne qui est d’emblée mis en avant. Côté affréteurs, c’est la motivation écologique d’une alternative au tout pétrole qui prévaut. Mais peut-on compter sur cette filière économique encore fragile comme une alternative crédible au transport maritime conventionnel ?

Bibliographie

Rapports

CNUCED, « Etude sur les transports maritimes 2023 , sur la voie d’une transition verte et juste », 2023. URL : https://unctad.org/fr/publication/etude-sur-le-transport-maritime-2023 

DIRECTION GÉNÉRAL DES AFFAIRES MARITIMES, DE LA PÊCHE ET DE L’AQUACULTURE, « Feuille de route de décarbonation de la filière maritime », janvier 2023.

INSTITUT FRANCAIS DE LA MER, THEOBALD Fabrice, « La propulsion nucléaire civile », 2010. URL : http://ifm.free.fr/htmlpages/pdf/2009/484-6-propulsion-nucleaire-civile.pdf

SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DE LA MER et LE CLUSTER MARITIME FRANÇAIS, « L’économie bleue en France – Flotte de commerce », 2022. URL :  https://www.gouvernement.fr/l-economie-bleue-en-france

WINDSHIP, « Livre blanc : la propulsion des navires par le vent », 2022. URL : https://www.wind-ship.fr/livre-blanc

Articles

CLASSE EXPORT, « Slow-steaming – Quel impact pour les supply chain internationales ? », 23 mars 2020, URL : https://classe-export.com/index.php/secteurs/logistique/29163-slow-steaming-quel-impact-pour-les-supply-chain-internationales/

CNUCED, « La CNUCED appelle à des actions globales audacieuses pour décarboner le transport maritime et assurer une transition juste », 27 septembre 2023. URL : https://unctad.org/fr/news/la-cnuced-appelle-des-actions-globales-audacieuses-pour-decarboner-le-transport-maritime-et

DE RICQLES Jérôme, « Les solutions techniques pour verdir le transport maritime », Upply, 26 janvier 2021. URL : https://market-insights.upply.com/fr/les-solutions-techniques-pour-verdir-le-transport-maritime

GERMA Jean-Michel, « Où en est la décarbonation du transport maritime ? », Le Monde de l’énergie, 17 novembre 2020, URL : https://www.lemondedelenergie.com/decarbonation-transport-maritime/2020/11/17/

GICAN, « Les outils de financement vert de l’industrie maritime française », juillet 2022. URL : https://gican.asso.fr/position/financement-vert/

GREEN VOYAGE 2050, « Alternative marine fuels: Regulatory mapping », URL : https://greenvoyage2050.imo.org/alternative-marine-fuels-regulatory-mapping/ 

ISEMAR, « Environnement : des solutions innovantes pour les navires de demain », note de synthèse 217, février 2020.

ISEMAR, « Propulsion des navires par le vent – quelles avancées? », note de synthèse 242, juin 2022.

ISEMAR, « Les ports maritimes et le défi énergétique », note de synthèse 244, octobre 2022.

ISEMAR, « Décarbonation du maritime, quelles avancées? », note de synthèse 251, mai 2023.

LE MONDE DE L’ENERGIE, « Pour décarboner le transport maritime à court terme, il faut ralentir ou choisir la propulsion à voiles », 11 octobre 2023. URL : https://www.lemondedelenergie.com/seule-solution-court-terme-pour-decarboner-transport-maritime-est-ralentir-choisir-propulsion-voiles/2023/10/11/

MOLGA Paul, « Transport maritime : les promesses incertaines de l’hydrogène décarboné », Les Echos, 14 novembre 2023. URL : https://www.lesechos.fr/thema/articles/transport-maritime-les-promesses-incertaines-de-lhydrogene-decarbone-2028629

ORGANISATION MARITIME INTERNATIONALE, « Travaux de l’OMI pour réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant des navires », 2023. URL : https://www.imo.org/fr/MediaCentre/HotTopics/Pages/Cutting-GHG-emissions.aspx

OUEST-FRANCE (sans auteur), « La réduction de la pollution du trafic maritime accélère-t-elle le réchauffement des océans ? », 16 aout 2023. URL : https://www.ouest-france.fr/environnement/rechauffement-climatique/la-reduction-de-la-pollution-du-trafic-maritime-accelere-t-elle-le-rechauffement-des-oceans-b42bb684-3c09-11ee-a0c1-fc13a16f7577

PLANCHENAULT Maëlle, AZARD Julien, « Pollution de l’air et gaz à effet de serre : différences et impacts », mis en ligne sur EcoCO2 le 28 juillet 2023. URL : https://www.ecoco2.com/blog/pollution-air-ges-differences-impacts/

TYL René, « La réduction de la vitesse des navires, un point essentiel du transport maritime décarboné », Association française des capitaines de navires. URL : https://afcan.org/tribune_libre/vitesse.html