Article rédigé par Nelly Souquet et Yves Floury, membres de l’association Plaeraneg Gwechall

18 mars 1935 : la goélette « Le Butterfly » sombre au large d’Islande

Épilogue tragique de l’épopée islandaise

L’épopée de la grande pêche à Islande prend fin pour le pays de Paimpol avec la campagne de 1935. Après cette dernière campagne, aucun armateur paimpolais n’armera pour la grande pêche. Si le naufrage du Butterfly a sans doute précipité la fin de l’épopée, le déclin était déjà sérieusement amorcé depuis plusieurs dizaines d’années. La première guerre mondiale, la concurrence des chalutiers à vapeur, la fréquence des naufrages et un durcissement de la législation maritime islandaise se conjuguèrent pour condamner définitivement la pêche à Islande.

Février 1935 : Seules deux goélettes paimpolaises partent pour Islande

Ce jeudi 21 février 1935, profitant de la marée haute du matin, deux goélettes quittent le port de Paimpol pour une nouvelle campagne de pêche à la morue à Islande : la Glycine et le Butterfly. Les pensées des membres des deux équipages vont vers leurs familles qu’ils quittent une nouvelle fois pour près de six mois. Au moment où épouses, enfants et proches, réunis sur les quais, disent un dernier au revoir, nul ne peut se douter que seule une partie de l’équipage du Butterfly reviendra au pays et que cette campagne de 1935, avec le retour de la Glycine, dernière goélette à rentrer au port, mettra fin à une très longue histoire, celle de Paimpol et la grande pêche.

En cette fin du mois de février 1935, le mauvais temps sévit. Au moment de rejoindre la rade, à la sortie du port, les deux goélettes doivent se mettre au mouillage et attendre une accalmie pour mettre le cap vers Islande, comme très souvent lors des départs de campagne. A bord, l’impatience gagne progressivement chacun, car les jours, qui passent, bloqués ainsi dans la rade, sont autant de jours de retard pour commencer la campagne et revenir au pays !

Au mouillage dans la rade, sur le Butterfly, un évènement particulier se produit. Le marin JULOU, initialement recruté pour cette campagne et affecté à la fonction de cuisinier, se casse une jambe sur le bateau. Impossible bien sûr de partir avec un membre de l’équipage ainsi blessé, encore plus un cuisinier ! Il doit être remplacé. Sans doute heureux, suite à ce coup du sort, de trouver un embarquement, peut-être inespéré, Adolphe MARCHAND de Paimpol rejoint l’équipage du Butterfly. Hélas, dans quelques jours, il connaîtra une fin tragique.

Départ, enfin, pour Islande !

Au bout de huit jours, une accalmie se dessine à l’horizon. Ce jeudi 28 février 1935, le Butterfly peut enfin quitter la rade. Le capitaine Adrien CAPENDEGUY donne l’ordre d’appareiller. La goélette passe devant Pors-Even puis devant Kroaz Pell, la Croix des veuves de Loti, laisse Bréhat à bâbord et met le cap au nord-ouest.

Le Butterfly est une goélette jaugeant 192 tonneaux, d’une longueur de 31m86. Elle a été construite en 1920 pour le compte de la société d’Armements à la grande pêche et au cabotage de Gravelines. Pour cette campagne de 1935, elle est la propriété de l’armateur paimpolais Dauphin. Son équipage est composé de 26 membres sous les ordres du capitaine Adrien CAPENDEGUY de Granville, secondé par Louis BERNARD de Ploubazlanec.

Une effroyable tempête cause la perte du Butterfly

Après un départ retardé de huit jours, lié au mauvais temps, le sort semble s’acharner sur le Butterfly qui fait route vers Islande. Après une dizaine de jours de navigation, vers le 14 mars, la goélette traverse une tempête d’une extrême violence. Plusieurs jours de lutte sans merci contre les éléments, une lutte bien inégale qui se terminera par la perte du navire et la disparition de deux marins.

Le capitaine CAPENDEGUY, à son retour à Paimpol, a fait un récit du drame dans les colonnes du « Journal de Paimpol », du 30 mars 1935 :

« Le Butterfly fut assailli le 14 mars par une tempête d’une extrême violence. Tout ce qui se trouvait sur le pont fut arraché. Pendant huit jours, nous sommes demeurés désemparés, nous considérant comme perdus. La situation s’aggrava le lendemain (15 mars) : le gouvernail fut en partie brisé et le pont arraché. Le lendemain (le 16 mars), le cuisinier Adolphe MARCHAND, 24 ans, et le matelot Guillaume FLOURY, 37 ans, furent emportés par une lame. Durant les jours qui suivirent la situation s’aggrava encore.

Dans la soirée du 18 mars, nous nous trouvions à 230 milles à l’Ouest des côtes islandaises, à proximité de Rockall. Le bateau faisait eau de toutes parts et les pompes parvenaient difficilement à vider les cales. Nous nous demandions ce que nous allions devenir. »

Un sauvetage providentiel

Sauvés dans l’après-midi du 19 mars 1935 par le chalutier boulonnais Duperre, en retour de pêche vers son port d’attache de Boulogne Sur Mer, le capitaine CAPENDEGUY et les marins du Butterfly assistent impuissants à la perte définitive de la goélette au fond de l’océan. Pour éviter que l’épave ne présente un danger pour la navigation, ce qui restait de la goélette fut incendié avant que le capitaine ne quitte le navire.

« Les embarcations de sauvetage avaient été vérifiées lorsque survint le chalutier boulonnais « DUPERRE ». A nos signaux de détresse, la patron MALFROY mit une embarcation à la mer et nous envoya son second et le mécanicien. Ils se rendirent immédiatement compte que le « Butterfly » devait être considéré comme perdu.

Grâce au « DUPERRE », nous sommes sauvés. Il y avait trois mètres d’eau dans le bateau quand nous l’avons quitté. Nous ne pouvions pas espérer le sauver. Il faisait eau de toutes parts, disloqué par ces énormes et nombreux paquets de mer qui s’étaient écrasés contre sa coque et sur son pont. »

Retour à Paimpol

Le capitaine CAPENDEGUY et les 23 hommes de l’équipage sont débarqués dans le port boulonnais le 22 mars à midi. Rapatriés, ils retrouveront le pays paimpolais le lendemain, le samedi 23 mars. Ayant cru durant plusieurs jours leur dernière heure arrivée, ils resteront marqués à vie par ce drame.
L’équipage de la Glycine rentrera quelques mois plus tard à Paimpol en fin de campagne le 15 septembre 1935. Après ce dernier retour, les armateurs paimpolais n’armeront plus pour la grande pêche à Islande.

Sources : Ouest-Eclair Edition Rennes 21 mars 1935, Le Journal de Paimpol samedi 30 mars 1935, Ouest-France Côtes du Nord 27 février 1962

 

Pour aller plus loin

Louis BERNARD de Ploubazlanec, Second du capitaine du Butterfly
ci-contre, devant sa maison de Toul Broch, DR

Louis BERNARD, marin de Ploubazlanec, était à bord du Butterfly pour cette campagne de 1935 en qualité de second du capitaine CAPENDEGUY. Marin d’expérience, il a navigué durant 63 ans et a embarqué pour 29 campagnes à la grande pêche ! Dès l’âge de 9 ans, Louis commence à naviguer pour la pêche côtière dans les parages du Goëlo sur un petit bateau La Jeanne.
A peine atteint ses 15 ans, il part pour sa première campagne islandaise sur la goélette La Marie. Comme tous les jeunes de son âge, voire beaucoup plus jeunes, embarqués pour Islande ou Terre-Neuve, il connaîtra le très dur apprentissage réservé aux novices. Les embarquements s’enchaineront jusqu’en 1914, entrecoupés par la période du service militaire, accompli dans la Marine Nationale. En plein conflit mondial, il passera trois années périlleuses à convoyer des munitions vers la Russie sur un navire de commerce.

Louis BERNARD, devant sa maison de Toul Broch, DR

La tourmente passée, Louis reprendra les campagnes islandaises sur plusieurs goélettes paimpolaises : La Marie, L’Aurore, L’Anémone, La Surprise, La Violette, La Berthe, La Pascale et enfin Le Butterfly . Il gravira tous les échelons du métier de marin, matelot, 2ème lieutenant, 1er lieutenant, second. Le dernier embarquement sur le Butterfly, en 1935 à 46 ans, sa 29ème campagne islandaise, aurait pu, pour lui comme pour tous ses compagnons d’infortune, être sans retour, cela sans le secours miraculeux de l’équipage du chalutier Duperré.
Même lorsque, beaucoup plus tard, Louis posera définitivement son sac dans sa maison de Toul Broch, il ne pourra jamais dire non à l’appel de celle qui fut pourtant la cause de tant de tourments, de peurs, d’angoisses, mais qui fut aussi sa raison d’être : la mer. Sur son petit bateau le Coz Islande, quand l’envie lui revenait, Louis passait de longues heures à pêcher entre les îlots et les rochers de l’archipel bréhatin. Titulaire de la médaille d’honneur de la marine de commerce, Chevalier du Mérite Maritime, Louis, le vieux loup de mer, quittera pour toujours les siens dans sa petite maison de Toul Broch, le 29 décembre 1962.

L’équipage du Butterfly : 24 marins sauvés – 2 disparus

Capitaine : Adrien CAPENDEGUY, Granville. Second : Louis BERNARD, Ploubazlanec. 1er lieutenant : Robert Le CAVORZIN, Plouézec ; 2ième lieutenant : J. B. SALIOU, Plouézec. Matelots : Jean CHANCELET, Yvias ; Eugène NICOT, Plourivo ; Léon Le MATRE, Dunkerque ; Louis MACON, ?; Yves LOGIOU, Paimpol ; François MESCAM, Kérity ; Henri GUEZOU, Plouézec ; François Le CAVORZIN, Plouézec ; Yves-Marie MEVEL, Kérity ; Yves-Ernest MEVEL, Plouézec ; François Le HEGARAT, Plouézec ; Jean CAOUS, Ploubazlanec ; Yves Le ROY Ploubazlanec ; Le BROUSTER, Ploubazlanec ; Yves le TALLEC, Plouézec ; Emile RUMIAC, Ploubazlanec ; Jean FLOURY, Plourivo ; Emile Le MARGAT, Plouézec ; J.B. JULOU, Plouézec ; Louis Le GUEN, Plouézec – (tous sauvés) ; Guillaume FLOURY, Ploubazlanec  et Adolphe MARCHAND, Paimpol (disparus).

Rockall : Ilot rocheux austère perdu dans l’Océan Atlantique Nord

C’est dans les parages de Rockall que l’équipage du Butterfly a affronté en vain une terrible tempête qui entraînera au terme d’une lutte inégale le navire au fond de l’océan. Cet îlot est en fait un très haut rocher, isolé en mer, entre l’Islande et l’Irlande. Ilot bien connu des marins pour avoir donné son nom à une des zones du bulletin météorologique marin diffusé par la BBC, ce petit territoire rocheux appartenant au Royaume Uni est revendiqué par trois autres pays : le Danemark, l’Irlande et l’Islande.

Rockall et ses abords dont Hasselwood Rock furent les lieux de nombreux naufrages dont le 28 juin 1904 celui du S.S. Norge, navire de 3 318 tonnes, avec 700 migrants sur la route maritime de Copenhague vers New-York qui fera 635 victimes.

Source : Wikipédia